Face une précarité socio-économique et des difficultés liées à la santé, le territoire de Grigny – Viry-Châtillon a engagé une démarche Atelier santé ville en 2008 ; laquelle a créé une dynamique partenariale autour d’une approche positive de la santé. Sur la question spécifique de la santé mentale, l’ASV a accompagné la ville de Grigny à mettre en place un conseil local de santé mentale (CLSM) en 2015.
> PROBLÉMATIQUE : Comment créer une dynamique territoriale pour promouvoir la santé mentale ? Comment favoriser la participation des professionnels et des habitants au pilotage de la démarche ?
Présentation de l’ASV
Structure porteuse : GIP Grigny – Viry-Châtillon
Co-financements : ARS, DDCS
Ressources humaines : 1 ETP
Historique et contexte : les villes de Grigny et Viry-Châtillon sont réunies dans la communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne. Elles réunissent près de 60 000 habitants et ont fait l’objet d’une urbanisation rapide et massive à la fin des années 1960. Environ 70 % des habitants vivent aujourd’hui dans les quartiers prioritaires.
La compétence politique de la ville est portée par un groupement d’intérêt public (GIP) à l’échelle de la communauté d’agglomération depuis 2000. Le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) 2007-2014 portait l’objectif de garantir à chacun le droit à la santé. Suite à un diagnostic opérationnel, un Atelier santé ville a été créé en 2008. Depuis le 1er janvier 2017, la compétence santé est portée par les communes.
Intégration dans le contrat de ville : le contrat de ville 2014-2020 a inscrit un volet santé dont l’objet est de « garantir pour les habitants l’accès à une offre globale et un parcours cohérent de santé ». Ce volet santé se réfère au contrat local de santé (CLS).
Autres dispositifs locaux en santé publique : les villes de Grigny et Viry-Châtillon, l’ARS d’Ile-de-France et la préfecture de l’Essonne ont signé un CLS en octobre 2014 pour une durée de trois ans. Son animation est assurée par l’ASV.
Éléments-cadre du projet présenté
Échelle d’intervention du projet : ville de Grigny
Pilote du projet : ville
Partenaires du projet : CCAS, centres sociaux, centres médico-psychologiques de la psychiatrie publique, ARS, groupe d’entraide mutuelle (GEM Les temps mêlés), Unafam, professionnels médicaux libéraux
Public cible : habitants et professionnels
Durée du projet : différentes actions développées sur la santé mentale depuis 2008 ; construction du CLSM à partir de 2014 ; lancement officiel fin 2015
Co-financements du projet : ARS
Histoire du projet
Une dynamique de promotion de la santé construite par la démarche Atelier santé ville
Suite à un diagnostic de santé mené dans le cadre du CUCS en 2008, le GIP de Grigny – Viry-Châtillon a créé un Atelier santé ville. Ce dernier s’est fondé sur les repères des pratiques de santé communautaire*. Coordonné par une personne expérimentée et formée au Brésil à la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, l’ASV s’est appliqué à ce que la démarche soit ascendante et s’accorde avec les temps des acteurs. En effet, l’ASV n’est pas l’acteur de la santé sur le territoire, mais il est un outil de coordination et de concertation pour que chacun se reconnaisse comme un acteur de santé. Le plan d’actions défini dès 2008 vise à réduire les fortes inégalités territoriales de santé, sur quatre axes :
- Développer l’offre de soins et améliorer les conditions d’exercice des professionnels ;
- Promouvoir la santé infantile physique et psychique ;
- Développer la prévention et la prise en charge en santé mentale ;
- Élaborer et mettre en œuvre des programmes locaux de prévention et de promotion de la santé.
La démarche locale de santé s’est progressivement mise en place, d’abord en se saisissant de thématiques plus mobilisatrices (la santé bucco-dentaire et la nutrition). Pour la coordonnatrice ASV et l’élue de Grigny en charge de la santé, l’évolution de la démarche ASV depuis 2008 montre le passage d’un territoire « de diagnostic » à un territoire « de projet »**. En effet, depuis la fin des années 1980, plusieurs diagnostics urbains avaient pointé les besoins du territoire en termes de santé. Le travail de mobilisation et de plaidoyer mené par la coordonnatrice ASV a permis de dépasser les diagnostics pour développer des projets de promotion de la santé.
Focus sur l’implication du CCAS de Grigny
La démarche ASV a incité le CCAS de Grigny à se positionner comme un acteur de santé. Bien que confronté à des difficultés liées à la santé (accès aux droits déficient, rupture de soins entrainant des crises au sein des services), le CCAS ne proposait pas d’actions santé avant 2009. Grâce à l’ASV, il a pu rencontrer de futurs partenaires (services municipaux, associations locales, …) et échanger sur les réponses à apporter au public. Dans cette perspective, depuis 2010, le CCAS organise tous les ans une Semaine Santé Bien-être, projet dans lequel il cherche à intégrer les habitants dès la conception.
Une démarche mobilisatrice confortée par le contrat local de santé
Afin de renforcer la dynamique engagée grâce à l’action de l’ASV, les villes de Grigny et Viry-Châtillon, l’ARS d’Ile-de-France et la préfecture de l’Essonne ont signé un contrat local de santé (CLS), en octobre 2014 pour une durée de trois ans. Il est orienté sur trois enjeux prioritaires :
- Développer l’offre de soins, la coopération sur les prises en charge et l’accès aux droits ;
- Consolider et développer la prévention et la promotion de la santé ;
- Bâtir une approche globale et coordonnée de la santé mentale.
La santé mentale, du diagnostic au lancement d’un conseil local de santé mentale (CLSM)
Les diagnostics locaux de santé ont fait ressortir des problématiques liées à la santé mentale, en particulier de l’isolement social et des ruptures de prise en charge. Ce constat est réaffirmé dans le CLS, lequel a programmé la création d’un conseil local de santé mentale (CLSM). Sur cette thématique, la méthodologie portée par la coordonnatrice ASV a été identique à celle menée sur d’autres thématiques de santé publique : mettre en place un réseau d’acteurs et suivre une démarche projet.
« Dans un premier temps, il semblait plus prudent et adapté de soutenir et élargir les ressources en matière de santé mentale et en parallèle, de développer des compétences partenariales de concertation en travaillant sur d’autres thématiques de santé. »***
Il s’agissait d’abord de mobiliser les ressources existantes et les aider à se coordonner : « des acteurs n’ont pas attendu le CLSM pour agir, donc on ne lance pas d’emblée une grande machine » précise la coordonnatrice ASV.
Le CLS définit le CLSM comme « un espace de partage des constats, de concertation, de réflexion, d’élaboration collective d’actions » et prévoit la création d’un poste de coordonnateur pour Grigny (cofinancé par l’ARS). L’objectif attribué au CLSM est d’impulser, accompagner et coordonner les différentes actions en santé mentale (prévention/promotion de la santé, soins, insertion).
Au titre du CLS, le CLSM pilote quatre fiches-actions :
- Promotion du bien-être psychique par le lien social (objectif : lutter contre l’isolement social) ;
- Promotion des lieux d’écoute pour les adolescents (objectif : faciliter une première écoute de la souffrance psychique pour les adolescents) ;
- Mobilisation de l’ensemble des acteurs afin d’éviter les ruptures dans la prise en charge en santé mentale (objectif : construire une dynamique de travail collectif entre les professionnels de la psychiatrie, du secteur médical et du secteur social) ;
- Étude d’opportunité pour la création d’un centre médico-psycho-pédagogique-CMPP à Grigny (objectif : trouver des réponses adaptées et suffisantes pour les enfants de 0 à 18 ans qui expriment des souffrances psychologiques et/ou pédagogiques).
Le CLSM, un dispositif partenarial co-construit
Afin de définir les bases du CLSM, une réunion dite « avant-première » a été organisée en mai 2015 avec les techniciens des futures structures membres du comité de pilotage (COPIL) : il s’agissait d’un « temps de co-construction pour permettre à chacun des quatorze participants de se reconnaître et d’être reconnu comme force de proposition et d’action en matière de santé mentale » explique la coordonnatrice ASV. Les participants étaient la ville (élus et techniciens), les centres médico-psychologiques (CMP) adulte et infanto-juvénile, l’ARS, le CCAS, un centre social, une association locale d’aide aux personnes souffrantes et l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques).
Deux principaux points ont été discutés lors de cette réunion « avant-première » :
- les représentations sociales de la santé mentale (c’est quoi ? c’est qui ?) ;
- les conditions de réussite du CLSM.
Le travail sur les représentations a montré que certains acteurs se focalisaient sur les soins et qu’une approche positive et globale de la santé mentale restait à construire. Quant à la définition des conditions de réussite, elle a permis de faire germer une vision collective du dispositif et que chaque participant puisse s’approprier la démarche. La réunion « avant-première » a permis de mobiliser le terrain et d’assurer des bases constructives au COPIL.
À ce stade, la dynamique est engagée auprès du réseau sanitaire et social. Mais deux défis restent à relever d’après la coordonnatrice ASV :
- que les habitants se reconnaissent et soient reconnus comme acteurs à part entière ;
- que l’approche de la santé mentale soit globale et positive.
Un enjeu : créer les conditions de la participation de tous les acteurs, habitants et professionnels
L’implication des acteurs dans la démarche locale de santé demande nécessairement du temps. La coordonnatrice décrit cela comme un processus en différentes étapes : l’acteur doit d’abord se sentir concerné par le sujet, puis s’impliquer dans le projet, enfin il pourra être force de proposition. Il faut créer des conditions favorables pour atteindre ces étapes.
Sur le modèle de Paulo Freire selon lequel « personne n’éduque personne », personne ne peut forcer quelqu’un (habitant ou professionnel) à participer. Pour la coordonnatrice ASV, il ne s’agit pas de « faire participer », mais plutôt de veiller à créer les conditions favorables à la participation. Cette distinction est importante parce qu’elle implique une posture professionnelle différente. Le coordonnateur a alors un rôle d’accompagnateur : il est celui qui donne des repères, pose le cadre et interpelle. Cela étant, la limite entre favoriser la participation et y pousser est toujours ténue et floue : cela impose une remise en question régulière des manières de faire.
« Je ne peux pas décréter une démarche participative si dans nos échanges de couloir, dans nos échanges dans les réunions, je fais autrement. Il faut que les uns et les autres assument leurs erreurs, et il faut qu’on soit modeste pour que chacun puisse à tour de rôle aider à tirer les fils de cette construction. »****
Dans une approche de santé communautaire, il s’agit de développer un partenariat entre tous les acteurs du territoires, habitants et professionnels.
« Il revient aux élus, professionnels et habitants impliqués dans le projet local de santé de se poser, en permanence, la question : dans quelle mesure les uns parviennent à faire de la place et de l’écoute et les autres à occuper de la place et de la parole ?Qu’est-ce qu’il faut changer, quelles conditions réunir pour y parvenir ? »†
La posture des professionnels est en permanence interrogée : chacun doit être capable de faire son autocritique et avoir conscience de ses rapports avec les autres, pour envisager de transformer ses pratiques.
Des éléments pratiques sont également importants pour offrir une place à la participation de tous : le coordonnateur doit rester vigilant au format de la salle, à l’emplacement des personnes et à l’animation des réunions. À ces conditions, il est possible d’espérer que des habitants et des professionnels hors du soin trouvent leur place et s’affirment comme acteurs de santé.
* Le Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire a défini huit repères : avoir une approche globale et positive de la santé, agir sur les déterminants de santé, travailler en intersectorialité, concerner une communauté, favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction, favoriser un contexte de partage de pouvoir et de savoir, valoriser et mutualiser les ressources de la communauté.
** Voir pour plus de précisions la synthèse des visites sur site réalisées par le Collectif Santé Ville d’Ile-de-France en 2013 (téléchargeable)
*** Cecilia Masselli, Accompagnement à la mise en place du CLSM de Grigny, Mémoire pour le DIU Santé mentale dans la communauté, 2015.
**** Cecilia Masselli, extrait du Cahier d’entretiens Atelier santé ville, Collectif Ne pas plier, 2014.
† Cecilia Masselli, Accompagnement à la mise en place du CLSM de Grigny, Mémoire pour le DIU Santé mentale dans la communauté, 2015.
Résultats
- CLSM formalisé et réunissant la ville (élus et techniciens), les CMP adulte et infanto-juvénile, l’ARS, le CCAS, un centre social, une association d’aide aux personnes souffrantes et l’Unafam
- Développement d’un réseau d’acteurs autour de la santé mentale
- Renforcement de la dynamique locale pour la promotion de la santé
Bonnes pratiques
- Créer un espace d’échanges et de concertation autour de la santé mentale
- Associer des usagers et habitants dès le démarrage de la démarche
- Élargir le réseau des partenaires impliqués dans tous les déterminants de santé (décloisonner les champs)
- Favoriser la prise de conscience de chaque acteur de son rôle sur la santé
- Prendre le temps nécessaire aux acteurs pour s’impliquer dans la démarche
- Adopter une vision positive et globale de la santé
- Définir collectivement l’objet du CLSM et ses conditions de réussite
- Être vigilant sur l’animation des réunions (emplacement, écoute, prise de parole)
Ressources bibliographiques
- Cecilia Masselli, Accompagnement à la mise en place du CLSM de Grigny, Mémoire pour le diplôme inter-universitaire Santé mentale dans la communauté, 2015 (téléchargeable)
- Visites sur site organisées par le Collectif Santé Ville d’Ile-de-France en 2013 (téléchargeable)
Ressources méthodologiques
- CCOMS, Recommandations pour l’élaboration d’un Conseil local de santé mentale, février 2013 (téléchargeable)
Contact
Cecilia Masselli, coordonnatrice ASV et CLSM, ville de Grigny
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Récit rédigé en février 2017 par la PnrASV, suite à des échanges avec Cécilia Masselli, coordinatrice ASV au GIP Grigny – Viry Châtillon (à la ville de Grigny depuis janvier 2017), Chiraz Sow, responsable du Pôle Santé au CCAS de Grigny et Alain Delpy, bénévole à l’Unafam.