Par la Ville de Lyon
Rédigée par Laurence Langer-Sautière, Responsable de la Mission Observation-Evaluation (coordonnées en bas)
PROBLÉMATIQUE & CONTEXTE
La fonction d’accueil et d’écoute des personnes précaires – au sein des secteurs associatifs, des services municipaux et des organismes gouvernementaux liés à la précarité – souffre de plus en plus d’optimisations inadaptées, de découpages fonctionnels et de pressions managériales.
Les nouvelles organisations du travail ne permettent plus d’écouter, comme il se devrait, la demande des personnes qui, bien souvent, sont renvoyées vers un autre lieu, un autre service. Cela accentue leur désarroi et alimente le phénomène d’invisibilisation des personnes précaires[1]. Laissées à leurs difficultés sans avoir pu vraiment en parler, elles risquent d’abandonner toute démarche et de ne plus se présenter dans des lieux d’accueil où leur situation aurait dû être prise en compte.
Le métier du/de la professionnel·le de l’accueil, agent·e à un guichet, assistant·e social·e d’un CCAS, ou encore, chargé·e d’insertion professionnelle d’une Mission Locale, en est largement impacté.
Le délitement du lien médico-social et la disparition progressive des missions sociales d’accueil augmentent ainsi les risques de pratiques discriminatoires dans l’accès des personnes aux services médico-sociaux.
[1] Cf. les travaux de Claire Bernot, qui a soutenu une thèse en 2016 : Les jeunes « invisibles » : de l’émergence d’un problème à l’élucidation des conditions de construction de réponses cohérentes, et de Pierre Rosanvallon, Le parlement des invisibles.
OBJECTIFS
- Comprendre le délitement de la fonction d’accueil en partant des professionnel·les et de leur expérience, et en étudiant plus spécialement la précarisation et l’invisibilisation de la population vieillissante. Une recherche-action est conduite avec des professionnel·les de l’accueil, de l’accompagnement, de l’accès aux droits et des soins psychiques.
- Dégager des perspectives de travail et des actions à mener pour rétablir la fonction d’accueil et d’écoute des professionnel·les.
RACONTEZ VOTRE PROJET…
Le projet s’est construit en plusieurs temps :
- Mise en place du pilotage et de l’équipe en charge du projet.
- Analyse de documents de travail des structures du réseau d’accueil (associations et « missions » de la Ville de Lyon) et concertation entre les membres de l’équipe-projet.
- Mise en place de séances de travail autour des difficultés rencontrées par les acteur·trices de terrain du réseau de l’accueil médico-social et de leurs réflexions.
Deux séances ont eu lieu en 2020 autour de la « place des précaires » :
- Séance de travail n°1 : avec l’ensemble de la Mission Santé, comprenant la responsable de la Mission, deux coordonnatrices des Ateliers Santé Ville (ASV) et deux coordinatrices du Conseil Local de Santé Mentale (CLSM).
- Séance de travail n°2 : avec une psychologue, deux intervenantes sociales et une agente d’accueil d’« Interface 9ème », équipe mobile et pluridisciplinaire de l’association Alynéa. Cette équipe propose une approche médico- psycho-sociale favorisant une meilleure prise en compte de la souffrance psychique.
En 2021, un atelier a aussi été mis en place avec des partenaires sur l’invisibilisation des plus de 50 ans. D’autres ateliers seront programmés en 2022.
Constats de la recherche-action
L’analyse fait ressortir une « panne » dans le moteur même des dispositifs d’accueil et que la fonction d’écoute attentive, qui prend en compte les affects et difficultés de la personne, n’est plus assurée.
Les rencontres ont ensuite permis de mettre en lumière certains constats profonds de cette « panne » du point de vue des professionnel·les:
- Une certaine désespérance résultant d’injonctions administratives causant un morcellement destructeur du métier :
« L’organisation du travail subit un morcellement des tâches jusqu’au sentiment pénible de ne plus accomplir la mission première de son métier. Cette situation provoque des tensions qui peuvent perturber la relation avec la personne. »
- Une adaptation inconfortable en permanence :
« Il y a comme une situation d’être entre deux plaques tectoniques ». « Il y a un fort sentiment d’être démuni, de ne pas pouvoir y arriver ». « Ce qui nous intéresse, c’est la personne qui fait peur, qui inquiète et qui est en souffrance ».
Plus les dispositifs d’accueil deviennent exigeants en termes d’adaptation et d’adéquation (exemple : demande à se conformer aux soins sous peine de « sortir » le patient du dispositif), moins la demande singulière du/de la patient·e semble être entendue.
Dès lors, les ponts entre soin et social ne se font plus, ou que très difficilement, la fonction même d’accueil dans le champ médico-social est menacée, et c’est là que les risques de pratiques discriminatoires apparaissent.
RÉSULTATS
Par rapport aux objectifs, quels résultats ont été obtenus ?
- Une meilleure compréhension, au sein du groupe-projet, des difficultés qui touchent l’ensemble des acteur·trices impliqué·es dans les parcours d’accès aux droits et aux soins des personnes précaires, y compris celles-ci. Elle a permis d’éclairer différemment des actions envisagées pour y laisser davantage de place à l’écoute des personnes.
- La mise en place de 4 « Points écoute adultes » au plus près des quartiers les plus en difficultés.
Il s’agit de permanences d’1 jour/semaine sans rendez-vous dans des centres sociaux, des bibliothèques, etc. Elles sont assurées par des psychologues qui n’ont pas d’ « injonction à orienter » vers tel ou tel dispositif (les points d’écoute disposant d’un financement propre assuré par la ville), mais doivent avant tout « faire place » à la personne.
- Des actions envisagées pour des publics précaires, ou qui se précarisent, commencent à intégrer cette étape de l’écoute
- Publication dans une revue référencée : Langer-Sautière Laurence, Borie Nicole, Rialle Vincent, « Faire place aux personnes précaires. Leurs parcours d’accès aux droits et aux soins, notamment en santé mentale », Sociographe, 2021/5, n° 76.
Avez-vous observé des effets inattendus ?
L’émergence d’une problématique concernant spécifiquement les 50-64 ans.
La construction de partenariats avec des universitaires, mobilisé·es pour accompagner la compréhension de la problématique.
Quelles sont les perspectives pour l’action ?
- Développer un projet de plus grande envergure, prenant spécialement en compte les phénomènes d’invisibilisation des personnes précaires ou en voie de précarisation.
- Travailler sur le vieillissement précoce (50-64 ans), spécifique à certains territoires (notamment QPV), métiers, et liés à des accidents de la vie (exemple : handicap d’origine professionnelle imposant une reconversion après de longs traitements). Fin d’année 2021, un atelier a été organisé à ce sujet avec notamment l’un des partenaires et la plateforme Plateforme Vieillissement et Précarité (ViP).
- Partager et diffuser les travaux de la recherche-action à différent·es acteurs·trices : élu·es, ARS, CAF, CCAS, Métropole…
- Poursuivre les séances de travail entre l’équipe-projet et ses partenaires professionnel·les
- Développer des ateliers d’analyse et de partage de pratiques à destination des professionnel·les de l’accueil et de l’écoute.
Si un autre territoire souhaitait reproduire votre action, quels conseils lui donneriez-vous ?
- Travailler en réseau avec des acteurs·trices sociaux·iales et de la santé mentale, la collectivité et des chercheur·es, notamment en sociolinguistique, pour identifier les blocages dans l’écoute des personnes.
- Proposer des solutions à créer en cours de route (exemple des « Points écoute adultes ») et accepter l’absence de solution unique répliquable.
- Mutualiser les constats et conclusions qui peuvent être tirés de ces travaux pour en assurer une diffusion efficiente. Pour cela, un travail partenarial entre nos travaux et ce que pourrait faire tout autre territoire serait une piste intéressante.
FICHE-IDENTITÉ DE L’ACTION
Porteur de l’action :
Ville de Lyon
Territoire d’intervention :
Ensemble de Lyon, en particulier des Quartiers Politique de la Ville (QPV) et des Quartiers de Veille Active (QVA)
Cadre d’intervention politique dans lequel s’inscrit l’action :
Accès aux droits et prévention des ruptures de parcours de droits et de soins en santé mentale.
Publics visés :
Publics en souffrance psychosociale
Partenaires opérationnels :
Nicole Borie, psychanalyste, CPCT Lyon ; Vincent Rialle, Maître de conférences-praticien hospitalier émérite, Université Grenoble Alpes (voir son blog) ; Alynea – dispositif « Interface 9ème »
Partenaires financiers :
Ville de Lyon
Précisez la gouvernance de l’action :
Une équipe projet composé de Laurence Langer (Responsable Observation-Évaluation, Ville de Lyon), Vincent Rialle (Maître de conférences-praticien hospitalier émérite, Université Grenoble Alpes) et Nicole Borie (psychanalyste, membre du CPCT) a suivi finement chaque étape de la recherche-action.
En interne à la Ville de Lyon, le lien a constamment été maintenu avec la Mission Santé de la ville (ASV et CLSM).
C’est dans une suite potentielle de cette action que la mise en place d’un copil sera envisagée.
TERRITOIRE
Votre action s’inscrit-elle dans une dynamique territoriale de santé ?
Un Atelier Santé Ville
X Un contrat local de santé
Un conseil local de santé mentale
Autre (précisez : …………………………………….)
Le territoire est-il couvert par un contrat de ville ?
X Oui
Non
Ne sait pas
Si oui, votre action s’inscrit-elle dans le contrat de ville ?
X Oui
Non
Ne sait pas
AUTRES RESSOURCES
Rapport du CRÉDOC « La France des invisibles » https://onpes.gouv.fr/la-france-des-invisibles-enquete.html
« Note finale : Recherche-action « faire place aux personnes précaires dans leur parcours d’accès aux droits et aux soins notamment en santé mentale » » – Direction du développement territorial, Mission observation-évaluation, Mission santé, décembre 2020, www.wikilyon.org/RechercheAction2020/Notefinale.pdf
Claire Bernot a soutenu une thèse en 2016 « Les jeunes « invisibles » : de l’émergence d’un problème à l’élucidation des conditions de construction de réponses cohérentes », disponible à partir du lien suivant : http://www.theses.fr/2016LYSE2037
Rosanvallon Pierre, 2014, Le parlement des invisibles, Paris, Seuil : Raconter la vie (coll. « Raconter la vie »), 68 p.
CONTACT RÉFÉRENT
Prénom Nom
Laurence Langer-Sautière
Fonction
Responsable de la Mission Observation-Évaluation
Structure
Ville de Lyon
laurence.langer@mairie-lyon.fr
Tél
04.26.99.65.80
Mis à jour en mars 2022